Les films de Jacques Cuny ne restituent pas seulement la vie disparue des paysans dans les Hautes-Vosges. Ils nous révèlent qu’elle existe encore, tout près de nous, à condition de savoir la retrouver. Quelque chose tient du miracle, ou au moins de la magie, dans cette façon de rassembler les ultimes traces – une fermière préparant ses fromages au dessus du lac de Longemer, un vieil homme coupant son bois pour l'hiver – , puis de mêler ces moments rares aux images de la nature vosgienne pour reconstituer le monde perdu comme s'il existait encore, tout entier.
On sait que le quotidien des familles perchées dans leurs fermes de montagne, entre l'étable et le grenier à foin, était rude. Mais les « derniers des Mohicans » du monde paysan soulignent aussi, avec une force étonnante, ce que leur vie avait de poétique. Comment n'être pas saisi par le sourire de Gisèle Viry-Remy faisant sortir au printemps ses jeunes vaches tout excitées ? Par l'accent chaleureux de Gilbert Payeur qui connaît la rudesse des demeures solitaires au pied des forêts ? Ou par les conversations de Claude et Eric Grossier dans leur ferme familiale ? Sans oublier Pierre Grandemange, Christian et Marianne Sonrier… ni les chats qui bondissent, les poules qui picorent et tout le petit peuple des anciennes basses-cours.
Tout cela, nous le goûtons d'un film à l'autre à travers l’½il et l'oreille de Jacques Cuny. Et nous entrevoyons combien de temps, d'échanges, de moments perdus (pas seulement à filmer), il a fallu pour recueillir ces témoignages. On le mesure également devant ces merveilleux plans d’oiseaux, de fleurs ou d'insectes, si patiemment saisis. Mais la force particulière de ce nouveau film tient peut-être au rythme de l'eau qui s'écoule, si caractéristique de la forêt vosgienne où elle affleure partout, limpide et joyeuse. Cette fraîcheur de la nature donne aux images un élan radieux, ce qui fait qu'on n'a jamais l'impression de voir un film d'adieu au monde disparu, mais bien davantage une célébration de la vie.
Benoît Duteurtre
Merci